La mairie de Bordeaux s’est brillamment illustrée ce mois-ci avec une campagne bêtement provocante qui a déjà fait beaucoup parler d’elle. Quand l’audace et le parti pris marketing font un énorme flop, au détriment des artistes qui aujourd’hui ont bien du mal à exercer leur supposé « métier »…
Designer, est-ce un métier ?
[di:zajn] du latin designare : marquer, indiquer, décrire, concevoir. Mais aussi dessiner, écrire, imaginer, créer, prototyper, expérimenter, tester. Design de marque, design d’objet, design éditorial : nos métiers de communicants s’appuient sur un savoir-faire bien réel, qui ne s’improvise pas !
Être un utilisateur expert de la suite Adobe, indissociable de notre production visuelle quotidienne ne fait pas le designer, comme l’outil ne fait pas le maître !
Maîtriser InDesign ou Photoshop ne suffit pas, loin de là ! Il faudra bien 5 années d’études supérieures à un designer pour se familiariser avec la fonction à laquelle il se destine. Le process créatif n’est pas inclus dans la suite de logiciels et celui-ci, s’il s’apprend sur les bancs d’écoles d’art ou de design, s’affine avec le temps et l’expérience acquise au fil des années, sur de vrais projets clients.
Car bien avant que les visuels — un logotype, une campagne, un magazine ou un site web — ne soient parfaitement exécutés, tout créatif qui se respecte mûrit le brief en cherchant à lire entre les lignes pour identifier de bons leviers et la meilleure matière avant de donner forme à ces premières idées. Qu’importe l’approche ou l’outil, tant que de cette réflexion créative émerge des réponses riches de sens !
La pertinence d’un projet créatif s’appuie d’abord sur le sens, le signe comme « signifiant », sur la palette de couleurs — celle du peintre ou celle qu’Adobe affiche en marge de l’écran —, sur le choix d’une fonte typographique, sur le traitement d’une image et assurément, dans la manière d’organiser tous ces éléments en un tout cohérent, élégant, percutant, engageant.
Avec l’objectif que le visuel ou l’objet ainsi créé soit vu, compris, apprécié, et puisse inviter à « aller plus loin », en ceci que dans nos métiers, on ne cherche pas uniquement le « beau » mais bien à créer une interaction avec le public visé.
Rédacteur, est-ce un métier ?
Si l’on considère que dans tout projet de communication la langue française doit être maniée avec soin, que toute accroche ou « claim » de campagne doit être préalablement testé en amont de la diffusion d’un support quel qu’il soit, quand un bon concepteur-rédacteur apporte une réelle valeur ajoutée à la production d’un support, oui, c’est un métier.
Car c’est tout un art de trouver le bon angle, d’écrire avec des mots justes, de rendre le texte lisible et attractif, de penser « niveaux de lecture » ou « U.X », quand le lecteur aujourd’hui sélectionne l’information avec soin avant de s’immerger dans les sujets qui l’intéressent le plus.
N’en déplaise à la direction de la communication de la ville de Bordeaux : « Artiste, c’est un métier ? » n’est pas français ! Quand la forme interrogative invite à inverser la place du verbe, exigeante tournure de phrase que nos adolescents pressés et addicts de messages courts ne maîtrisent pas toujours et on peut le regretter, quand « on écrit comme on parle ».
DirCli, est-ce un métier ?
Tout « super chef de projet » qu’il ou qu’elle est, un directeur de clientèle n’est pas un simple intermédiaire qui reçoit et envoie des mails entre les différentes parties prenantes d’un projet, tel un maître d’hôtel qui ferait des allers-retours entre la cuisine et la salle pour servir des clients exigeants et souvent impatients ! À l’agence, un bon Dir-cli écoute, réfléchit, prend du recul, échange, écrit, conseille. Il se nourrit de veille et de bonnes pratiques, comme il consolide ses savoirs projet après projet.
Nos clients ne sont pas des « bêta-testeurs » à qui l’on servirait « ce qui nous chante » mais bien des interlocuteurs exigeants qui attendent d’être rassurés, conseillés et bien accompagnés, afin que les réponses que nous leur apportons sous la forme de « recommandations » puissent porter leurs actions, leurs objectifs et les bons messages à destination de leur cible.
DirCom, est-ce un métier ?
Elle est bien loin cette époque quand cette mission de responsable de la communication était confiée à l’assistante du boss, à une cousine ou une amie éloignée à qui il fallait bien donner un job, jugé non stratégique pour l’entreprise…
Il n’est pas donné au premier venu de rédiger un plan de com, de penser pertinence et complémentarité des supports ou stratégie « social media ». Quand aujourd’hui l’analyse des retours terrain et autres KPIs est tout un art pour mesurer l’impact d’une communication réussie et adapter les actions futures en tirant les meilleurs enseignements de la manière dont elle a été perçue et de ce qu’elle a apporté en terme de « R.O.I ».
Travailler une charte verbale, des éléments de langage voire construire une plateforme de marque nécessite d’être bien formé, outillé, conseillé mais aussi bien entouré. Du management d’une équipe au choix d’une agence, du partage de bonnes pratiques à l’évangélisation en interne : tout bon Dir Com qui se respecte, homme ou femme, est un artiste pluridisciplinaire, chef d’orchestre à ses heures, chef de chantier, voire grand chef étoilé quand une campagne bien conçue et bien déployée relève d’une savante alchimie.
L’audace paye, pour qui sait en faire bon usage…
Qui joue avec le feu, s’il ne respecte pas les précautions d’usage — qu’en communication on appelle « le bon sens » — prend le risque de se brûler et d’enflammer ce qui l’entoure !
Le nouveau maire de Bordeaux ou sa directrice de communication aurait été fort avisé de tester les visuels de campagne auprès d’un panel de ses administrés — ou à défaut, auprès de quelques « artistes » de son entourage — avant de donner son feu vert à une campagne à double tranchant, dont ni l’audace, ni le ton, ni le second degré n’a été compris et apprécié par ses concitoyens. Maire, c’est un métier, qui ne s’improvise pas et encore moins en jouant trop librement avec des visuels déployés à grande échelle sur les abribus de sa ville !
Puisse ce cuisant échec être source d’enseignements pour l’élu encore un peu vert dans le métier 😉 Côté retombées presse, c’est un indéniable succès, même si le message envoyé n’est certainement pas le bon.
Post-scriptum
Taper sur le donneur d’ordre est de bonne guerre et c’est tout le danger de l’exposition médiatique d’un maire, d’un ministre ou du dirigeant d’un grand groupe, homme ou femme. Mais nous n’oublions pas qu’il est de la responsabilité d’une agence de faire de bonnes préconisations et de ne pas fournir la peau de banane sur lequel son client pourrait glisser !
La maire de Rome vient d’en faire la cruelle expérience, qui dans une vidéo vantant sa belle ville romaine pour la Ryder Cup 2023, mettait en avant le Colisée mais dont l’image en question s’est révélée être celle… des arènes de Nîmes ! N’était-il pas de la mission de l’agence qui la conseille de veiller à faire « la bonne recherche d’image » ? Ou à tous ceux qui côté client valident le support de faire preuve d’un peu plus de vigilance et de bon sens ?
De l’intérêt de cultiver une bonne relation de confiance entre le client et son agence 😉