Avant qu’un Apple ou un autre poids lourd de l’informatique ne la fasse disparaître de nos claviers, on vous dit tout de l’esperluette, ce si joli signe typographique et poétique qui figure en bonne place sur le haut de nos claviers et que l’iPhone ne range pas en 2e ou 3e position mais rend encore assez vite accessible à nos doigts entraînés.
Également appelée « perluète », l’esperluette est le logogramme « & », formé de la ligature des lettres « e » et « t », pour signifier la conjonction « et ».
Figure du nœud et symbole de l’union, elle est considérée comme la « pierre de touche de l’influence de l’esprit calligraphique dans la typographie » selon Maximilien Vox*. Ses formes inspirantes d’une infinie variété ont fait et font toujours l’objet d’innombrables interprétations créatives par les grands créateurs de caractères.
Si l’origine de sa création est encore à ce jour incertaine, on la remarque dès l’époque mérovingienne, systématiquement utilisée par les copistes médiévaux dans leurs manuscrits. Jusqu’au XIXe siècle, elle était en outre la 27e lettre de l’alphabet, située après le « z » et était alors prononcée « ète ».
L’étymologie d’« esperluette » viendrait de la manière dont les enfants dans les petites écoles récitaient l’alphabet en la finissant en latin par « et, per se, et » (prononcée « ète-per-sé-ète »), signifiant littéralement « et, en soi, “et” », puis transformée en « et, per lui, et ». L’étymologie du mot en anglais « ampersand » est par ailleurs similaire, venant de la locution « and, per se, and ».
Si elle est encore très utilisée dans le monde anglophone pour lier deux noms propres, l’esperluette tend à disparaître en France, notamment des usages littéraires et journalistiques, malgré sa longue et belle histoire, pour trouver refuge dans le domaine commercial, et qu’on désigne d’ailleurs comme le « et commercial ». Cette vieille et belle lettre typographique se maintient surtout dans les noms de marque ou d’entreprise, comme « H&M », « M&M’s », « Moët & Chandon », « Procter & Gamble », « Ernst & Young », « Young & Rubicam »…
Sa disparition au XIXe siècle en France dans le monde littéraire et de l’imprimerie serait liée à l’apparition de la nouvelle typographie, celle de la famille Didot**, qui s’est imposée à la fin du XVIIIe, lors du Directoire et pendant la période impériale. Considérée comme une abréviation, l’esperluette a alors été évacuée de toutes les nouvelles gravures, des ouvrages des grands auteurs classiques, aux livres de fêtes tels que le Sacre de Napoléon, et surtout du Code civil. Néanmoins, la tradition de l’esperluette a perduré dans les impressions de luxe du XIXe siècle.
Aujourd’hui, l’esperluette est davantage considérée comme une illustration plutôt qu’une lettre. France Télécom a su joliment, en outre, l’utiliser pour son logo de 2000 à 2013, avant sa transformation en Orange.
* Maximilien Vox, 1894 – 1974, théoricien et historien de la lettre et de la typographie française
** Famille Didot, dynastie d’imprimeurs, éditeurs et typographes français, du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours