Quand le design typographique prend possession des étiquettes de bières, au service des marques de brasseries souvent confidentielles et donc, de leur percée sur les linéaires de nos supermarchés et autres petits commerçants, c’est un sujet qui mérite d’être imagé.
Nous aurions pu en ce lundi de Pâques parler d’étiquettes de vin à l’image d’un Château L’Évangile ou des Vignes de l’Enfant Jésus (Bouchard Pères & Fils) en passant par un Châteauneuf-du-Pape, parfait sur un agneau, comme l’aurait été aussi un Saint-Estèphe ! Nous parlerons plus volontiers de bières et de design, qu’historiquement, abbayes et trappistes brassent avec soin et depuis près de 10 siècles.
Cela ne vous aura pas échappé, les bières artisanales prennent dans nos magasins une place de choix, avec un « facing » bien plus engageant qu’une tête de gondole d’un grand brasseur historique à grand renfort de packs de 24 bouteilles empilés rapidement, ou « palettisés » pour reprendre le jargon.
Le design typographique trouve une place de choix auprès de ces bières plus confidentielles et plus volontiers présentées à l’unité qu’en packaging cartonné, ce qui en termes de RSE n’est pas plus mal ! On n’achète plus sa bière par 6, 12 ou 24, mais on choisit sa bière « en bouteille », et souvent en variant les plaisirs. Et c’est là que l’étiquette prend tout son sens !
Ne versons pas trop vite la Heineken dans l’évier et souvenons-nous que le designer Ora Ito avait signé en son temps une sublime bouteille toute d’aluminium vêtue, qui appartient aux modèles iconiques du design d’objet.
Markette-moi ma binouze !
Ces nouvelles marques qui percent ont ceci de singulier qu’elles n’ont pas de « Service Marketing », quand celui-ci est plus souvent porté et incarné par un des associés, qui le matin transporte les sacs de grains avant de se pencher plus tard dans la journée sur l’image de sa petite entreprise. Car il s’agit dans la majorité des cas de brasseries artisanales, souvent montées au 21e siècle « entre 2-3 potes » qui ont décidé de donner un nouveau sens à leur vie.
Point de violentes réunions de 3h comme aimait les raconter Frédéric Beigbeder un brin sarcastique, ni d’étude de marché à l’échelle d’un continent, et encore moins de comité de pilotage au service de la marque ! Faute de moyen et de temps, il est davantage question d’intuition et d’échanges — bien plus directs et efficaces — avec un designer ou une agence à taille humaine, susceptible de comprendre le besoin rapidement et d’y apporter des réponses graphiques créatives et pertinentes. Avec un Leitmotiv : « que la bouteille soit belle et se remarque » !
Graphisme épuré ou image plus travaillée, la simplicité, la fraîcheur et le plaisir de faire s’imposent d’autant plus facilement que cette nouvelle génération de brasseurs n’a pas la prétention — ni les moyens 😉 — de lutter contre les grands groupes : Carlsberg et ses 729 bières, Heineken (297 références) ou pour citer un plus petit, Asahi et ses 42 étiquettes.
Startup à la campagne !
Parmi ces nouvelles marques, les Frenchies s’y taillent une place de choix sur notre territoire, car pour les mêmes raisons, il s’agit souvent d’un marché local, voire national quand on aime boire une bière qui rappelle telle ou telle région. On se rappelle de ce couple précurseur qui, il y a un peu moins de 30 ans s’était mis en tête de créer une bière corse — la fameuse Pietra — car l’île de Beauté n’en possédait pas.
Chez ces nouveaux brasseurs, travailler autour de quelques fûts d’aluminium devient bien plus excitant que de prendre le RER pour rejoindre une tour de verre ! Et d’ailleurs, l’immense majorité d’entre eux se sont installés en province et capitalisent sur les codes locaux pour valoriser une bière qu’on consommera dans la région, pour ces mêmes raisons.
Si la recette de base est assez simple et le matériel industriel bien plus accessible, chacun travaille sa recette, jalousement conservée comme celle des Schtroumpfs que Gargamel n’aura pas. Mais ces jeunes loups du business-plaisir disposent aussi d’une parfaite maîtrise des étapes de fabrication, précises et particulièrement normées. Qui veut vendre en supermarché ne fait pas n’importe quoi avec un vieux fût de bois et quelques feuilles de houblon séchées ! Le produit doit être conforme à l’étiquette… et aux dispositions réglementaires.
IPA, 3 lettres très marketing ?
IPA pour « Indian Pale Ale » qualifie ces bières qu’en Angleterre au 18e siècle on renforçait en houblon et en alcool — mais sans excès — pour leur permettre de voyager plusieurs mois jusqu’en Inde, quand à l’époque de la marine à voile, il n’y avait pas de containers réfrigérés.
Ces 3 lettres emblématiques que les connaisseurs identifient du premier coup d’œil, comme le code magique d’une bière « qui envoie du bois »sont clairement une source d’inspiration pour les designers quand il s’agit de mettre en évidence les fameuses 3 lettres sur une petite étiquette !
Le Naming fait-il tout ?
Dark Sister, Jungle Joy, Grosse Bertha, Sherlock, Père l’Ar-Bord, Smoke on the Oyster ou Oui Non Oui Non : si chez ces gens-là on décide plus vite qu’on ne laisse reposer le whisky, on sent tout de même qu’ils ne coupent pas au petit brainstorming sur le nom, entre amis ou avec de bons spécialistes de la marque…
Si le design est important pour le conso-amateur face à ces nouveaux « murs » de bières locales au choix bien trop vaste, le nom peut emporter la décision et l’humour ne manque pas dans cette sélection infinie de flacons. Car ce sont aussi et d’abord des bières à partager, qui font bonne impression quand elles sont joliment disposées devant les invités.
Et la com’ dans tout ça ?
Le site internet est important mais c’est avant tout sur les réseaux sociaux que la guerre se joue en termes de campagne, car le ticket d’entrée y est moins onéreux pour qui sait bien « acheter » ses « mises en avant ». Le Like fait le reste.
Mais à y regarder de plus près, ces brasseurs en chambre gèrent rarement l’expédition et n’ont donc pas besoin de e-shop ou d’un site optimisé SEO. C’est donc le distributeur — souvent local — qui valorisera le produit, en ligne, en linéaire ou sur ses supports marketing habituels.
Les cavistes et épiceries fines n’auront guère d’autres moyens que de créer ces beaux murs d’étagères de « flacons » et le consommateur écoutera discrètement leurs conseils, avant de faire son choix sur le nom et sur ce que lui inspire l’étiquette. Et si cet assemblage de houblon est convainquant, il y reviendra certainement !
Merci à… Alexis-Idesbald Linossier qui a patiemment raconté à votre serviteur comment se fabrique et se commercialise une bière artisanale. Après 20 ans dans l’informatique et l’industrie du tourisme, il a tout plaqué pour lancer « avec 66 associés-copains ! » (sic), la Brasserie Naturelle des Landes.