S’il y avait bien des choses à dire à propos du précédent logo, tout le monde avait fini par l’accepter et le trouver suffisamment parisien pour en faire l’emblème des Jeux 2024. Patatras, la nouvelle version dévoilée fin octobre fait polémique !
Quand un logo ou une identité visuelle fait débat, on ne va pas s’en plaindre car c’est toujours une vitrine pour nos métiers et donc l’opportunité de parler de couleur et de typographie mais aussi d’équilibre, d’élégance, de potentielles références patrimoniales ou culturelles ; bref, de tous ces ingrédients qui constituent les métiers que nous aimons.
Le logo en question…
Logo de salon de coiffure (ou de massage ?), emblème hypersexualisé, clin d’œil à Tinder… C’est un « choix culotté » pour reprendre les manchettes de presse, même si l’on peut s’interroger sur le changement de logo quand le précédent semblait déjà bien installé avec ce chiffre « 24 » en forme de Tour Eiffel.
Selon les communiqués officiels (voir plus bas), il s’agit donc d’une médaille qui symbolise la performance, d’une flamme qui fait vivre l’esprit olympique et d’un visage de femme, celui de Marianne. Vaste programme !
Qui choisit ?
Les mauvaises langues pourraient laisser entendre que cette Kokeshi-là est à la Mairie de Paris. Paris 2024 assure avoir choisi parmi une cinquantaine de propositions, dont on peut espérer que les braves designers non retenus ont été rémunérés pour cette large « consultation ». En l’espèce dans le cadre d’un marché public qui ne fait pas débat.
Mais qui dit 50 propositions élève le fameux « J’aime / J’aime pas » au rang de discipline olympique !
« Bon, on va déjà éliminer celles qu’on n’aime pas, d’accord ? »
Une identité écoresponsable, vraiment ?
Signé par l’agence Royalties-Ecobranding, ce logo qui fait couler beaucoup d’encre est… attention… (roulements de tambours) : « écoresponsable ». Et oui !
Selon son dirigeant, l’identité a été pensée avec des couleurs qui réclament moins d’encre (dont le très présent Pantone Or 4525 C et ses particules métalliques, cherchez l’erreur !) et « des typographies qui utilisent moins d’énergie sur le digital ». Et oui ! Ce que Romain Duris résume assez bien ici.
Une typo qui consommerait moins d’encre est en soit une belle idée. Mais quand la fameuse éco-typo est essentiellement déclinée en réserve (zéro encre, bravissimo !) sur des pages web toutes de noir vêtues (ok pour le mode sombre moins énergivore) avec de nombreuses vidéos en auto-run (certainement écoresponsables aussi), il faudrait songer à enlever le Pantone Green du discours un peu washed, non ?
Allumer, le feu !
Johnny, reviens ! On t’offre l’ouverture des Jeux avec un emblème enflammé à souhait, comme au Stade de France et un logo dont on peut « sentir le vent qui se déchaîne ».
Une flamme donc. Comme à Albertville en 1992 ou Atlanta en 96, mais aussi Melbourne en 1956. Celle des Jeux mais aussi cette lueur d’espoir qui sommeille dans le cœur de chaque athlète et qui brillera comme l’or ou l’argent des médailles dont les médias tiendront scrupuleusement la liste.
Cachez-moi ces yeux…
De la féminité, aussi et on ne va surtout pas s’en plaindre, quand le sport est habituellement « picto-masculinisé » à mort. Avec sur ce visage de femme et de face de fines lèvres joliment dessinées, mais d’yeux point, car ils sont cachés par les mèches.
Contrairement à la Marianne qu’on retrouve dans toute communication officielle de l’État et du Gouvernement, avec son regard droit et ses cheveux au vent, la bouille parisienne des JO 2024 est beaucoup plus ronde, avec une petite coiffure très art-déco totalement assumée car il serait question de faire écho aux jeux de 1924 ! Brillant.
Qu’en penser ?
Pour les designers et communicants que nous sommes, c’est un logo qui se remarque et ne laisse pas indifférent (CQFD ?). Bien équilibré, avec un dessin et de la typo, réalisé dans le cadre d’un exercice difficile quand il s’agit de faire cohabiter un signe fort, la ville et l’année concernée mais aussi les 5 anneaux officiels du CIO.
Mais si on considère qu’un bon designer doit d’abord intégrer le « sens » et « la raison d’être » dans son travail avant de se faire plaisir avec une belle intention créative, ce nouveau logotype de Paris 2024 interroge. Quand on le replace dans un benchmark de logo olympique de tous les pays, ce n’est pas la France qu’on associerait spontanément à ce visage de poupée japonaise. 4 ans après Tokyo, c’est un choix assez étrange.
Cela dit, côté « public », il est possible que ce logo « fasse le job » (quelle affreuse expression et ambition que de créer un truc pour que ça fasse l’affaire…). Car pour le quidam moyen — et donc le public visé — « quand c’est joli, ça suffit » (le dernier sondage Odoxa ne dit pas autre chose : 66% des sondés le trouvent « beau », même si seulement 15% des personnes interrogées y voient la ville de Paris et 14% comprennent qu’il s’agit de Marianne), ce logo remplira sa mission et contribuera à faire tourner la machine à billets, CQFD.
Soyons « sport » !
C’est une identité qui a le mérite…
de s’appuyer sur la création d’une typographie, ce qui est rare et c’est donc très bien !
- de mettre les femmes à l’honneur à travers ce visage tout en rondeur
- de ne pas négliger la dimension patrimoniale du sujet, en puisant dans les JO de Paris de 1924
- d’accompagner la sortie du logo d’une landing page interactive très bien conçue.
Et quand les médias parlent logotype, design et identité visuelle, c’est toujours une pause bienvenue dans l’actualité internationale !
Discours officiel
Thierry Reboul, directeur de la marque, de la créativité et de l’engagement de Paris 2024, s’est confié au Journal L’Équipe le 23 octobre dernier, pour présenter ce nouveau logo gentiment polémique. Morceaux choisis :
En mode « discours d’agence de com » 😉
« On a voulu incarner la vision des Jeux autour d’une conviction de départ : le sport change les vies. Notre mission est de rendre le pays plus sportif qu’il ne l’était au début de cette aventure et de réveiller l’athlète qui sommeille en chacun de nous. »
En mode justification
« On était très contents de la présence de la Tour Eiffel car on pouvait lire Paris d’un premier coup d’œil (…). Mais là, on passe à une autre étape qui consiste à dire qui nous sommes, ce que l’on veut faire et où on veut aller. »
En mode « blender »
« C’est la réunion de trois symboles : la médaille d’or (…), la flamme olympique et paralympique pour illustrer le partage, et la Marianne, symbole des valeurs de ce pays. En additionnant ces trois symboles, on obtient l’emblème de Paris 2024 qui est un visage féminin. »