Bien qu’on l’ignore souvent, pensant qu’elle n’est qu’une affaire de composition rapide de belles lettres assemblées avec un logiciel adhoc, la typographie est bel et bien une discipline artistique à part entière, qui repose sur le dessin de l’ensemble des lettres, des chiffres et des signes qui composent un alphabet et dont la mise en œuvre exige une parfaite maîtrise d’une multitude de règles et dans le meilleur de cas, d’un certain talent !
Si les bas de casses et lettres capitales désignent ce que les néophytes nomment plus communément « minuscules et majuscules », l’art de la typographie va bien plus loin, car qui se prend à créer une famille de caractères ne fera pas l’impasse des différentes graisses (a minima, romain, italique et gras), de toutes les formes d’accents — et ils sont bien plus nombreux qu’on ne l’imagine — mais également de tous les caractères informatiques nécessaires à la composition d’un texte, tels que #@$€%£•-©¥… pour n’en citer que quelques uns.
Discipline rigoureuse qui nécessite pour le « dessinateur de lettres » de connaître l’histoire des caractères d’imprimerie, leur classification (et notamment celle de Thibaudeau, présentée en 1921) et leurs nombreuses déclinaisons à partir desquelles l’utilisateur final composera son texte avec un minimum de respect pour la fonte concernée ou — et c’est là tout le danger — une totale ignorance des règles typographiques et de leur subtil équilibre, avec des conséquences visuelles parfois dramatiques, quelques logos ou campagnes de très grandes marques sont là pour nous le rappeler chaque jour.
De même que l’on fait correspondre son discours avec le bon registre (solennel, professionnel, tragique, intimiste, comique…), que l’on adapte sa tenue en fonction des circonstances, de même devrait-on s’efforcer à employer la bonne typo pour exprimer la bonne intention, et ne pas affaiblir le message avec une police inappropriée*.
Ainsi en est-il de la Comic Sans MS, joyeuse police à la si triste réputation, exécrée œcuméniquement par la communauté mondiale des graphistes et designer. Tellement décriée qu’elle fut désignée en 2010 comme l’une des pires 50 inventions de l’histoire par le très sérieux magazine Time.
Son usage s’est répandu grâce à — ou à cause de… — Microsoft. Avec une utilisation débridée et malheureusement, quels que soient les supports et leur finalité : petites annonces et prospectus (admettons…), cartes de restaurant et faire-part (allons-y), notes internes et autres Powerpoint (c’est là que ça se gâte) aux qualités graphiques et esthétiques plus que douteuses, chacun ayant été tenté d’y ajouter « sa petite touche personnelle ».
Pourquoi La Comic Sans MS a t-elle connu un tel succès, tandis qu’elle ne ressemble à rien ? Car c’est un fait : elle est vraiment moche cette fonte !
L’histoire nous apprend qu’elle a été créée à l’origine pour un logiciel didactique de Microsoft. Inspirée des comics américains des années 80, la fameuse Comic a été dessinée en 1995 par un typographe américain, Vincent Connare, pour apporter une alternative à la trop sérieuse Time New Roman (cette dernière ayant bien été dessinée spécialement pour le journal du même nom)…
La Comic Sans MS est une typo sympathique, un brin enfantine, parfait pour un didacticiel à replacer dans son époque. Une bonne typo pour le bon support. Rien à redire.
Ce n’est qu’ensuite, devenue une police par défaut de Microsoft et avec la quasi universalisation des ordinateurs à la maison et au bureau, que la Comic Sans MS — alors vraiment populaire — sera très souvent employée… à tort ! Permettant à tout un chacun de placer sa fameuse « petite faute de goût » en choisissant cette police « marrante ». Un peu d’humour ne nuit pas !
Mais s’agissant de stratégie de communication, parleriez-vous « comme un enfant » pour présenter vos derniers résultats financiers ou appuyer votre discours de marque ? Nous non plus.
Nous ne l’aurons finalement utilisée officiellement qu’une seule fois dans la carrière de l’agence : pour vous souhaiter aujourd’hui de magnifiques fêtes de fin d’année, avec humour et ce bon goût qui nous caractérise, car nos vœux, vous vous en doutez, sont sincères ! Jamais, au grand jamais, vous ne trouverez dans nos reco cette affreuse typo !
* La question ne se pose bien entendu pas en ces termes quand on est soumis à une charte éditoriale ou à une charte de marque. Dans le cas d’un discours institutionnel, la typo de la charte prévaudra très souvent. Une charte avec de la Comic Sans en police officielle ? Impossible.